Prise de fonction de Voynet à Montreuil
Par Patrick Petitjean
Samedi 22 mars, élection de la nouvelle municipalité. La salle avait été bourrée dès 8h du matin par les partisans du maire sorti. Ils sont venus pleurer sa défaite, c'est légitime. Mais ils étaient aussi venus huer le nouveau maire, c'est moins républicain. Les mauvais perdants, il y en a toujours. Dominique Voynet les a fait taire par son discours.
Mesdames et Messieurs les élus, chers concitoyens,
Dimanche dernier, une majorité de montreuillois et de montreuilloises ont décidé de faire prendre à leur ville un nouveau cap.
Ils ont accordé leur confiance à la liste « Montreuil vraiment », composée de militants issus de toutes les traditions de la gauche, sans étiquette de partis, que j’ai eu la fierté de conduire. C’est la première fois dans une grande ville.
Sous le regard attentif de très nombreuses personnes dans le pays tout entier, vous venez de confier, c’est aussi la 1ère fois, à une militante écologiste la responsabilité d’être la maire d’une commune de plus de 100000 habitants.
Et quelle commune ! L’une des plus symboliques sans doute dans l’histoire des traditions populaires de la gauche française… Je rends ici hommage à tous ceux qui, quelles que soient leurs appartenances partisanes, ont par leur travail, leur créativité et parfois leurs actes héroïques de résistance, contribué à forger cette image particulière.
Merci au nom de tous les membres de mon équipe.
Je souhaite, sans esprit partisan justement, vous dire comment j’interprète le choix des électeurs et comment mon équipe et moi, nous entendons en être dignes.
Il traduit d’abord une volonté de nos concitoyens d’inscrire les mutations fortes qu’ils savent devoir affronter à l’avenir, dans des valeurs de solidarité, d’écologie, de responsabilité et de d’ouverture.
Quelles sont ces mutations ? Pour ma part, j’en évoquerai trois
Il y a d’abord celles de la ville capitale voisine, Paris.
Etouffant dans ses murs, minée par la spéculation immobilière et la perte de ses traditions de travail, Paris tend à s’étaler, à exporter son modèle de vie, de consommation et parfois de gaspillage, à diluer les cultures populaires de la première ceinture, et – c’est brutal, mais ça a le mérite d’être clair – à en chasser les pauvres.
A ce défi, une majorité d’électeurs ont affirmé leur volonté de répondre non pas en érigeant des digues ou des remparts bien illusoires, mais en refondant un modèle dynamique de vivre ensemble, avec des équilibres mieux maîtrisés et plus justes entre l’activité et l’habitat, entre habitat individuel et collectif, entre populations issus de milieux sociaux divers, entre travail et temps libre, entre espaces publics et espaces privés.
Il est de bon ton ici ou là d’ironiser sur les bobos, et de dire que nous voulons transformer la ville en boboland. Rien ne permet d’étayer cette désolante hypothèse (que les habitants de la plupart des quartiers populaires n’ont d’ailleurs pas repris à leur compte comme le montre l’analyse du scrutin)
Notre projet n’est pas d’entretenir des caricatures, ni d’entretenir des clivages artificiels. Nous disons « bienvenue à Montreuil et en banlieue aux jeunes ménages, aux artisans, aux entreprises innovantes, grandes ou petites, aux créateurs et d’une façon plus générale à tous ceux qui incarnent et préparent l’avenir ! » Nous serons heureux de nourrir notre renouveau de leurs talents.
Mais au moment où je prends mes fonctions, je déclare dès aujourd’hui Montreuil zone inhospitalière à la spéculation, à la résidentialisation de luxe, au bétonnage outrancier, à la prolifération des hypermarchés, des stations services ou des entrepôts.
Nous n’avons pas vocation à devenir, d’un côté le faubourg de Vincennes et de Saint Mandé, de l’autre l’arrière cour de la grande ville musée, avec en premier rideau une façade de sièges sociaux vides le week-end, de l’habitat insalubre dans les interstices, et plus loin encore une zone de relégation pour les pauvres, mutilée par des grandes voies de circulation, le stockage des déchets, et de l’immobilier d’entreprises sans cohérence ni emplois durables.
Quand nous ferons venir des entreprises nouvelles, et nous en ferons venir, ce n’est pas seulement pour qu’elles amènent de la taxe professionnelle, mais pour qu’elles amènent surtout et avant tout de l’emploi aux Montreuillois, jeunes et moins jeunes, privés de travail, de la cohésion sociale et de la beauté urbaine, des espaces publics pour se poser, et enfin de l’intelligence partagée.
Quand nous bâtirons ici, et nous bâtirons, ce n’est pas seulement pour récupérer de la taxe d’habitation, c’est pour commencer à loger les Montreuillois en liste d’attente, avec comme priorité les victimes de l’habitat insalubre, les jeunes, les plus vulnérables. . C’est avec ces critères de qualité et de solidarité que notre équipe concevra l’attribution des permis de construire, l’examen du PLU, une relation vigilante à tous les promoteurs.
C’est dans cet esprit que nous allons entreprendre dès notre installation un examen approfondi pour rattraper au maximum le coup parti du chantier du cœur de ville, qui nous inquiète beaucoup.
La seconde mutation que nous devons affronter est celle des formes nouvelles de solidarité et de responsabilité : le gouvernement de droite prétend imposer un modèle de vie dans lequel l’emporte le chacun pour soi au détriment du collectif, l’assurance privée au détriment de la sécurité sociale.
Là encore, une nette majorité d’électeurs nous a élus pour inventer une réponse nouvelle, une réponse de gauche, à cette mutation.
Il ne suffit pas de crier « service public service public » en bondissant sur sa chaise, si c’est à l’arrivée pour privatiser l’eau, le cantines ou le ramassage des déchets.
Les Montreuillois attendent de leur nouvelle équipe une cohérence en la matière.
C’est pourquoi, comme représentant de notre ville au SEDIF, je prends immédiatement contact avec mes collègues maires pour que s’engage la renégociation du contrat de gestion de l’eau qui nous lie avec la même société privée depuis des dizaines d’années et le retour de ce service dans le giron du service public.
C’est pourquoi aussi, notre équipe est d’ores et déjà mobilisée aux côtés des enseignants, par exemple ceux de Condorcet, qui s’opposent à la suppression massive de postes dans leurs établissements, tout en prenant ses propres responsabilités pour que cesse la dégradation de nos propres équipements et de nos propres bâtiments municipaux.
C’est pourquoi enfin, nous donnerons toute leur place au cours de ce mandat aux nouveaux services à la population que peuvent couvrir l’économie sociale et solidaire, les associations, les coopératives et les mutuelles.
Dès les jours qui viennent, je ferai réaliser un audit de la situation financière de notre ville qui est parmi les plus endettées de notre département.
Contrairement à ce qui a été dit ici ou là, il n’est pas question pour nous de nous livrer à je ne sais quelle opération d’élagage, c’est exactement l’inverse : - il s’agit de voir réellement, compte tenu d’un certain nombre d’opérations aventureuses qui ont été engagées au fil de l’eau précédemment, quelles sont nos marges de manœuvre, pour programmer la mise en œuvre de nos engagements ; - Il s’agit dans ce cadre de voir comment nous pouvons opérer une gestion minutieuse et responsable des finances publiques : c’est le minimum que nous devons à nos concitoyens qui paient des impôts locaux et doivent recevoir des comptes transparents sur cette gestion.
Je prendrai directement contact dans les jours qui viennent avec les maires des villes voisines et bien au-delà, pour examiner les conditions de mise en place d’une véritable communauté d’agglomération, en définir les périmètres et voir comment ensemble, nous pourrons faire les économies de taille qui nous ferons gagner du temps, de l’argent et de la qualité de service.
J’affirme ici avec la plus grande clarté que nous ne resterons pas enfermés dans notre tour d’ivoire, mais que nous proposerons avec la même vigueur, une alternative forte au dépeçage des municipalités de banlieue, que veut mettre en place le Président de la République sous l’intitulé fallacieux et injurieux du « Grand Paris »
Je souhaite, s’il l’accepte, que le député de Montreuil prenne sa part de ce travail quand les propositions de l’État seront examinées par le Parlement, s’il se confirme qu’elles visent à mettre au pas les collectivités gérées par la gauche, sans mettre en place les outils d’une redistribution solidaire entre les Hauts de Seine et la Seine Saint Denis.
Enfin, je n’oublie pas que le service public local, ce sont d’abord et avant tout des agents communaux et des personnes dévouées à la cause de nos concitoyens : une date est d’ores et déjà fixée pour une rencontre avec la totalité d’entre eux. Je verrai les syndicats à brève échéance. Nous travaillerons avec tous les agents de la ville à l’application du programme municipal par le renouvellement de véritables projets de services pour lesquels nous ferons appel à leur créativité et à leur excellente connaissance de la ville.
La troisième mutation, que pressentent nos concitoyens et pour laquelle nous avons reçu mandat d’apporter des réponses nouvelles, c’est celle d’une écologie populaire, inscrite au cœur de nos priorités.
Dans un monde où le baril de pétrole est à plus de cent dollars et n’en doutons pas sera encore plus cher demain,
Dans un monde où le changement climatique va avoir pour chacun d’entre nous des conséquences considérables au quotidien, l’écologie, ce n’est pas ailleurs et pour les autres. Trop de « paroles verbales », de déclarations de principe, pas assez d’actions concrètes, et pas assez de continuité dans leur mise en œuvre.
C’est ici et maintenant que ça commence.
C’est une politique pour économiser l’énergie et réduire les gaspillages dans les bâtiments publics et dans les logements, pour réduire l’émission de gaz à effet de serre en développant des transports collectifs de qualité, pour recomposer le capital naturel en ville, en libérant l’espace, en dépolluant les sols, en protégeant la santé de tous du bruit des camions, de la pollution de l’air, en restaurant la qualité et la propreté de l’espace public.
Nous aborderons chacune de ces questions en portant une attention particulière aux quartiers dans lesquels les populations sont aujourd’hui les plus exposées, dans lesquels la dégradation de la qualité de la ville s’ajoute à tous les autres problèmes.
La haute qualité environnementale, ça sera pour la construction de tous les logements et bâtiments publics, et particulièrement pour les équipements que nous construirons dans le haut Montreuil afin de faire en sorte que nos habitants ne circulent pas seulement dans un seul sens mais bien que tous se réapproprient leur ville.
Car, outre le rattrapage du chantier du cœur de ville, notre premier objectif écologique majeur de Montreuil reste en vérité de recoudre la balafre qui mutile notre ville, à savoir la saignée de l’autoroute absurde qui isole Haut Montreuil.
Il nous faudra du temps. Excellente raison pour ne pas en perdre. Nous commencerons par des choses simples et de mise en œuvre rapide, je pense au respect effectif de l’interdiction des poids lourds dans le secteur des murs à pêches.
Mais à plus long terme, vous verrez, nous ferons de ce projet un exemple de rénovation urbaine écologique et solidaire, digne des plus belles villes européennes.
Mesdames, messieurs,
A ces trois grandes mutations, urbaines, sociales et écologiques, nous allons répondre aussi par une méthode et par un style.
Montreuil ne s’est pas fait en un jour... Nos concitoyens savent que tout cela sera progressif, par étapes.
Mais ils ne nous pardonneraient pas de ne pas faire bouger, dès aujourd’hui, à moyens constants, ce qui peut l’être dès aujourd’hui de façon plus efficace.
Et surtout, ils ne comprendraient pas que nous n’appliquions pas une démarche nouvelle pour avancer.
Nous sommes les élus de tous les Montreuillois : tous doivent pouvoir débattre et être entendus, y compris dans cette enceinte.
La campagne électorale a été rude : au-delà du débat politique et des arguments démocratiques normaux, nous avons été l’objet de rumeurs, d’insinuations voire d’attaques indignes de la démocratie, contre nos personnes et nos familles.
On me dit que des réseaux de résistance veulent se mettent en place ici ou là… C’est un mot magnifique que nous devons nous garder d’utiliser à tort ou à travers. Résistance contre quels dangers et contre qui, je voudrais bien le savoir.
Je veux agir pour que ce climat, carrément malsain, et dont la violence de cette séance témoigne hélas, change dans notre ville. Vous me permettrez de penser que c’est de cela dont les Montreuillois sont fatigués et dégoûtés. Je veux agir pour répondre à la fringale démocratique de nos concitoyens.
Je n’oublie pas que certaines minorités politiques, qui représentent des électeurs, à gauche de la gauche, au centre, comme à droite, ne siégent pas à ce conseil. Elles doivent pouvoir être entendues, et leur parole prise en considération. .
La minorité municipale ou l’opposition municipale, (ce n’est pas à moi de trouver le terme exact) aura droit, soyez en certains, à plus d’égards dans cette assemblée que ce ne fut le cas ici même pour d’autres minorités dans une période antérieure. Elle aura droit à un bureau avec fenêtre, au contraire du sort des minorités de la mandature précédente. Nous reverrons en ce sens le règlement intérieur de notre Conseil municipal.
Et d’une façon plus générale, nous accorderons une grande vigilance à la pluralité de l’information municipale, par exemple dans le cadre de Montreuil Dépêche Hebdo, à l’expression et à la participation des habitants, y compris à ceux qui, venus d’autres continents, n’ont pas le droit de vote aux élections locales. Beaucoup de structures ont été mises en place. Beaucoup fonctionnent de façon trop formelle, certaines pas du tout. Nous veillerons aussi à la revitalisation des conseils de quartier.
Nous bâtirons la représentation des anciens, qui ne sont pas de simples touristes de l’intérieur qu’il faudrait trimballer d’un repas de fin d’année à une excursion en bus, mais qui veulent une véritable place dans la vie de notre cité.
Nous allons enfin nous adresser aux jeunes de Montreuil, non plus seulement comme des consommateurs à qui il faut promettre tout, pourvu qu’ils ne s’agitent pas trop, mais comme à des citoyens ou des futurs citoyens responsables et dignes de respect. Nous serons à leurs côtés pour combattre les discriminations auxquelles les exposent trop souvent leur code postal ou la sonorité de leur nom. Mais cela ne suffit pas.
Nos politiques de l’emploi, de la formation, de la culture, du sport et de la santé, c’est pour eux et avec eux aussi que nous allons les concevoir et les adapter.
Il est ainsi beaucoup de sujets sur lesquels nous estimons que la concertation et le débat public n’ont pas été suffisants. S’il en est un pour lequel en tout cas, elle n’a pas réussi à réduire les divergences et les oppositions, c’est bien celui du Plan Éducatif Local et Global. .
J’ai demandé à Mouna Viprey , qui sera ma première adjointe, d’ouvrir sans tarder ce dossier important, de façon à ce que nous puissions préparer la rentrée prochaine, en concertation avec les parents, les enseignants, les animateurs des centres de loisirs, dans l’intérêt des enfants de Montreuil.
Au fond, je souhaite que notre style à tous, dans notre façon de gouverner la ville, soit moins formaliste, plus simple et surtout plus proche de la vraie vie.
C’est une condition indispensable pour ouvrir les yeux, pour voir à temps ce qui ne va pas, pour être attentifs à chacun et d’abord aux plus fragiles.
Ouverture et respect, voilà les deux mots qui vont caractériser notre action.
Respect, pour tous, et d’abord pour tous ceux que personne ne voit : j’ai demandé un moratoire sur toutes les expulsions de mal logés dans des bâtiments appartenant à la ville, jusqu'à ce que nous ayons trouvé des solutions dignes et acceptables par celles et ceux qui sont concernés. J’ai demandé à l’un des élus de prendre en charge le problème des enfants roms non scolarisés qui errent de squat en squat dans les rues de Montreuil. Et je sais pouvoir compter sur l’engagement de tous les élus, sans exception, qui accompagnent l’action des associations qui accompagnent dans leur long parcours de régularisation les enfants des familles sans papiers que nous accueillons dans nos écoles.
Ouverture au monde aussi, par une solidarité que nous illustrerons en prenant de la distance dans la coopération internationale de notre ville avec toutes les formes de dictature et de régimes autoritaires.
Mesdames, Messieurs les élus,
Chers concitoyens,
Je mesure la rudesse de la tâche, ce n’est pas une formule.
Je ne me laisserai tétaniser ni par les difficultés du monde dans lequel nous vivons, ni par aucun autre obstacle subalterne.
J’aime cette ville qui est une ville d’accueil, j’aime ses habitants qui incarnent la diversité du monde en marche et ce qu’il y a de bon dans les valeurs de notre pays.
Je vous remercie, au nom de tous les élus de cette ville, de la confiance que vous nous avez donnée.
Au moment de conclure, j’ai une pensée pour ma sœur, décédée en pleine campagne. Cela rappelle que la vie est courte. Cela invite à dépasser querelles, mesquineries et regrets et à remplir la vie de beauté, solidarité, justice, respect.
Dominique VOYNET
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