Le cinéma de Jean-Pierre Brard
Pour ce qui concerne Jean-Pierre Brard, c'est dès 2004 que le journal Le Poivron avait relevé le possessif utilisé par l'ancien maire pour le cinéma municipal, comme on peut le lire ci-après. Ces derniers temps, on retrouve dans sa bouche la même expression « mon cinéma », mais c'est la ville elle-même dont il estime être le propriétaire : voir le titre de sa liste, mais aussi sa déclaration « c'est ma ville, ce n'est pas celle de Dominique Voynet ».

Le projet de Stéphane Goudet pour le Méliès à son arrivée en 2002

Rien de tel que de partir d'une citation détaillée de l'ancien directeur du Méliès pour essayer de comprendre son projet, et ce qui ne va pas depuis le début. Je la commenterai sur 3 points. Elle est extraite d'un entretien de Stéphane Goudet dans le journal « Objectif Cinéma » en 2002, à l'occasion de la sortie de son livre sur Jacques Tati. L'entretien complet est ici.

Objectif Cinéma : On vous connaît comme critique à Positif. La première question que l’on a envie de vous poser c’est s’il y a une sorte de continuité logique et naturelle entre l’activité critique et l’exploitation en salle, c’est-à-dire le geste de montrer le film aux autres.

Stéphane Goudet : Bien sûr. Il y a une continuité évidente. Dans la mesure où je défends des films, j’ai envie qu’ils rencontrent des spectateurs et de leur donner la chance de passer sur un écran, et, éventuellement, de les accompagner physiquement, en animant une rencontre. Ce qui m’a intéressé dans l’exploitation, c’est le fait de pouvoir maîtriser entièrement la chaîne, du choix du film jusqu’à la rencontre avec les spectateurs. D’ailleurs dans le geste d’accompagnement des films, je suis proche de l’activité critique, dans le sens d’une critique orale dont Bazin disait qu’elle était supérieure à la critique écrite. Il est formé à l’école des ciné-clubs. Et comme les ciné-clubs ont disparu, la continuité logique c’est l’exploitation d’une salle.

Objectif Cinéma : Est-ce qu’il n’y a pas une façon de mettre en pratique certains choix théoriques que l’on a comme critique ?

Stéphane Goudet : Il y a de ça. Et puis d’autres questions. De marketing par exemple : comment faire venir les spectateurs dans la salle. Par rapport à la critique, il y a un retour beaucoup plus fort des spectateurs. J’ai plus de retour sur mes éditos du programme du Méliès que sur mes textes dans Positif.


Objectif Cinéma : Même en termes de programmation ?



Stéphane Goudet : La mairie ne m’a jamais dit : « attention la programmation d’avant, ce n’était pas bien » ; au contraire, ils ont passé leur temps à me dire que le travail accompli était remarquable. Ce qui est vrai. J’ai beaucoup d’estime pour la directrice précédente. Il fallait s’inscrire dans la continuité de ce travail. Après, qu’il faille réfléchir sur certains dossiers, par exemple la fréquentation des jeunes, je pense que c’était également nécessaire. Il fallait un peu ouvrir la programmation, de façon à ce que certains jeunes n’aient pas l’impression que c’est le cinéma de l’autre C’est pourquoi j’assume de passer certains films très grand public, très ponctuellement.


Stéphane Goudet : Moi j’ai programmé Taxi 3 sans le voir, et peut-être que je penserais cela. Je n’ai aucune détestation pour Taxi 2, que je trouve un divertissement sans prétention pas pire qu’un autre. Cela permet de faire des entrées et de pouvoir passer des choses plus difficiles. C’est donc une logique économique. En même temps, le fait que ce soit une salle municipale change un peu les choses. C’est aussi le cinéma de tous, donc il faut de temps en temps envoyer des signes.


Objectif Cinéma : Je voudrais parler, de façon plus générale, de l’activité d’exploitation, de ce qu’est l’acte de projeter et montrer des films. On remarque que, depuis votre arrivée, il y a une politique très riche en termes d’animations diverses et variées : le week-end Tati en juillet, week-end Kiarostami, des festivals, etc. Sans oublier un investissement physique puisque vous animez des séances d’analyse filmique. Ce qui n’est pas si fréquent. Est-ce que ce n’est pas la vocation d’une salle art et essai : briser un peu la routine de la simple consommation des films.

Stéphane Goudet : Oui, j’en suis persuadé. Ce en quoi la salle art et essai se distingue résolument des multiplexes. Moi, je fais cela parce que c’est ma passion et ma compétence, car mon activité principale est d’être enseignant à l’université. Quant à favoriser les échanges et les rencontres dans la salle, c’est vraiment ce qui m’intéresse. Ne faire que de la programmation et rester dans son bureau sans accompagner les films ? Je ne serai pas rentré dans ce métier.

Stéphane Goudet : Il y a beaucoup de salles qui font ce travail dans ce département. D’ailleurs, il y a assez peu de départements aussi dynamiques. J’ai beaucoup d’admiration pour mes confrères, et d’ailleurs, je me sens assez à la traîne. Parce que il n’y a pas de festival fortement identifié ici. Ca viendra peut-être avec l’industrie du rêve. Mais il y a un vrai désir de cinéma chez ces gens-là, que je trouve plus fort que chez la majorité des critiques de cinéma. J’ai l’impression de découvrir des films que je ne serais pas allé voir en tant que critique, par conformisme ou paresse. Le cinéma argentin par exemple. Bref, cela m’amène à d’autres curiosités. Mais cette salle a ses particularités : elle marche bien, mieux que d’autres dans le 93, elle est plus proche de Paris donc on peut faire venir des gens de Paris. On est très sollicité par des distributeurs qui nous demandent si l’on ne veut pas faire venir des cinéastes. Avant, j’ai été  trois mois à la Courneuve, il fallait supplier les distributeurs pour avoir une copie ; quant à inviter un cinéaste, cela relevait de la gageure totale. Ici, c’est l’inverse. De plus, on a constaté que la multiplication des animations fonctionnait très bien, loin de se gêner les unes les autres, les salles sont pleines à chaque fois.

Objectif Cinéma : Comment les faire venir ? 

 Stéphane Goudet : On a commencé à repenser la politique de communication sur la salle en fondant un programme alors qu’il n’y en avait pas, en organisant des rencontres. Il y a des choses à faire. Est-ce que cela suffira à en faire un lieu vivant ?, je ne sais pas.



Objectif Cinéma : A Montreuil, il y avait un acquis.

Stéphane Goudet : Je n’ai rien créé. J’ai poursuivi un travail.



1- Avant Stéphane Goudet
A lire les échanges actuels, on a parfois l'impression qu'avant Stéphane Goudet, le Méliès n'était qu'un cinéma terne, sans vie, que c'était le désert. A l'époque, son point de vue était différent, et il rendait un certain hommage au travail fait par Geneviève Houssaye, la directrice virée par Jean-Pierre Brard fin 2001 dans le cadre du passage à la régie directe. « Une programmation exigeante », dira-t-il encore à Libération en juin 2005 (texte complet de Libération dans le billet du 2 mars, Méliès(3)) de la situation à son arrivée. Même s'il ne peut s'empêcher d'oublier que le journal du cinéma existait avant son arrivée, et que les rencontres étaient déjà fréquentes. Le redressement du cinéma mené par sa directrice depuis 1995 avait déjà porté ses fruits, et le cinéma avait été remis sur une trajectoire de qualité. Même si aussi Stéphane Goudet fait l'impasse sur les motifs politiques du passage en régie directe, à savoir le combat mené contre les multiplexes et la censure d'une semaine de films palestiniens.

A noter aussi que, sollicitée, Genviève Houssaye n'a pas apporté son soutien à Stéphane Goudet dans le conflit actuel, ce qui lui vaut maintenant de voir sa gestion mise en cause par les supporters de Stéphane Goudet.

2- Enseignant, critique, directeur : la multi-activités
Comme le reconnaît Stéphane Goudet, il est avant tout enseignant à l'Université. Son statut de titulaire lui permet une activité rémunérée complémentaire de 96h seulement par an. Libération (juin 2005) le donne pourtant comme directeur à mi-temps... Avec un contrat annuel au début et une fiche de poste qui le qualifiait de consultant.
La manière dont il conçoit l'articulation entre sa fonction de directeur et son rôle de critique à Positif est très intéressante. Quelque part, pour reprendre ses propres termes, il conçoit Le Méliès comme le « ciné-club de Positif ». Pourquoi pas ? Cela mérite discussion et bilan des 10 ans de mise en œuvre de ce agenda. Cela garantit une grande qualité de programmation et d'animation. Cela a certainement joué dans l'extension du public du Méliès et à son rayonnement hors Montreuil. Mais n'est-ce pas un peu « étroit », et est-ce adapté au public que l'on vise à Montreuil ?
Positif, comme les autres revues cinématographiques, porte des positions esthétiques très précises. Je dois reconnaître que, dans les années 1970, quand j'avais encore le temps de lire des revues de cinéma, Positif n'était pas ma tasse de thé (malgré Ado Kyrou), et que je lisais plutôt Cinéthique, Les Cahiers du Cinéma et Jeune Cinéma. Mon interrogation est celle-là : peut-on, à ce point, mélanger la position de critique de cinéma d'une certaine école avec la direction d'un cinéma dont on peut attendre une plus grande diversité ? Poser cette question n'est pas mettre en cause la qualité du travail de Stéphane Goudet, mais c'est interroger la pertinence d'une telle confusion des genres agenda pour un cinéma comme Le Méliès. Geneviève Houssaye était une directrice à plein temps...

3- Toucher de nouveaux publics
L'entretien de Stéphane Goudet à Objectif Cinéma remet aussi en mémoire que la recherche de nouveaux publics, notamment parmi les jeunes, est une question qui était posée dès avant son arrivée. L'ancienne directrice était autant taxée d'élitisme par la municipalité de Jean-Pierre Brard que Stéphane Goudet actuellement, à tort dans les deux cas. La programmation de films qualifiés de « populaires de qualité » (mais en dehors du créneau « art et essai ») est une nécessité rappelée dans cet entretien, et mise en œuvre. Dans le transfert / extension décidé en 2005, faute d'un projet culturel construit (un multiplexe était la condition pour réaliser le centre commercial), la municipalité de l'époque mettait en avant la recherche de nouveaux publics pour les nouvelles salles (ce qu'UGC et MK2 avaient compris comme une concurrence déloyale). Stéphane Goudet était, selon Libération de juin 2005, sur la même longueur d'ondes : « Pour ce nouveau Méliès (ouverture prévue en 2007), Goudet annonce un équilibre entre «salle art et essai» et «salle de quartier de famille» : programmer aussi bien des films d'auteurs que Star Wars ».
Rien de nouveau donc dans les discussions en cours sur le nouveau Méliès. Le procès en « poujadisme de gauche » mené dans Regards (voir plus loin) par Stéphane Goudet, au prix de mots sortis de leur contexte, n'en est que plus scandaleux.

Personne n'est irremplaçable

La gestion de Stéphane Goudet : un succès qualitatif et quantitatif...
Les chiffres de fréquentation du Méliès sont à manier avec des pincettes, selon les sources (chiffres issus de notes internes à la ville, chiffres donnés lors des AG de l'association Cenc'Art au Méliès, chiffres publics...) et l'inclusion éventuelle des entrées gratuites qui étaient abondamment distribuées par l'ancien maire, et que tant Geneviève Houssaye que Stéphane Goudet ont cherché à réduire. Personne ne conteste que l'orientation donnée au Méliès par Stéphane Goudet, s'appuyant aussi sur l'évolution sociologique de la ville, a entraîné une augmentation de la fréquentation du Méliès : d'environ 159 000 spectateurs en 2001 à un pic à 215 000 spectateurs en 2004, puis une baisse de l'ordre de 20% entre 2004 et 2008, parallèle à la baisse nationale. Comme l'indique l'article de Libération : « Il avoue bénéficier de «facteurs favorables» : une fréquentation plutôt à la hausse en France et des changements sociologiques importants dans la ville, qui accueille depuis dix ans une population relativement aisée et avide de culture (certains crient à la «boboïsation de Montreuil»). Le dynamisme du Méliès porte un chiffre : 215 000 spectateurs en 2004 ».
Sous la direction de Stéphane Goudet le Méliès a effectivement changé de public et de dimension. Au point que, en concomitance avec la mégalo du maire de l'époque, des projets un peu démesurés ont surgi. Jean-Pierre Brard voulait jumeler Montreuil (100 000 habitants) avec la ville chinoise de Changchun (7 310 000 habitants). On apprend en effet lors du conseil du cinéma de juin 2006 le projet d’une coopération cinématographique entre Montreuil et Changchun, pour un festival de cinéma ici et là-bas. Stéphane Goudet présenterait à Montreuil des films chinois qu’il irait lui-même choisir sur place et, réciproquement, il présenterait des films français à Changchun. Ce projet de coopération Montreuil-Changchun sera emporté par la défaite de Jean-Pierre Brard en 2008.

... Mais est-ce devenu « Mon projet » pour autant ?
Avec la réussite de sa gestion artistique, et plus encore par la campagne contre les recours de MK2 et UGC, Stéphane Goudet s'est fait une place et un nom dans le milieu cinématographique bien plus importants qu'avant son arrivée au Méliès. Que le prestige du cinéma rejaillisse sur son directeur, qui en est à l'origine, rien de plus normal. On pourrait appeler cela « une accumulation de capital symbolique », grâce au Méliès. Il faut se rappeler aussi que ce prestige a été acquis par une alliance politique scellée avec Jean-Pierre Brard, et est tributaire de cette politisation.
Il y a eu un « avant Goudet » qui marchait bien. Il y a un « après Goudet » qui marche, malgré les calomnies qu'il déverse sur Nathalie Hocquard qui lui a succédé, après avoir tenté de cohabiter avec lui. L'article de Regards, dont un extrait est reproduit à la fin de ce billet est édifiant à cet égard de l'attitude actuelle de Stéphane Goudet (et c'est pire pour ses supporters) loin « caractère mesuré » de 2002. Je reviendrai dans le billet n°8 sur ces calomnies.
On voit fleurir les expressions comme « le Méliès de Goudet » (par exemple contre « le Méliès de l'autre »). Quand il est fait mention de « l'équipe du Méliès », il s'agit toujours de Stéphane Goudet et des deux personnes sanctionnées, loin de l'équipe réelle (plus d'une dizaine de personnes). Dans un entretien avec ''France Inter'' le 19 août dernier, Stéphane Goudet reprend cette terminologie, multiplie les amalgames contre Dominique Voynet (qui n'est pas honnête), calomnie toujours Nathalie Hocquard avec des citations tronquées (elle ne programmerait pas du Bunuel) et parle du nouveau Méliès comme « le projet que j'ai porté pendant 7 ans ». On ne peut accepter ce genre d'appropriation d'un projet.

Depuis que j'ai quitté Montreuil il y a un an, je fréquente surtout les trois salles (art et essai, recherche, etc) de Bayonne, lAtalante et l'Autre cinéma. Dans son numéro du dimanche-lundi 16/17 mars, Le Monde vient de le qualifier d'« un des cinémas d'art et essai les plus inventifs et créatifs de l'hexagone ». Rencontres, expos, concerts avec des avant-premières, journal du cinéma. Un cinéma municipal avec une gestion associative. Mais une association neutre avec 1400 adhérents : un rêve quand on voit le Méliès...
Le Méliès n'est pas unique, et son ancien directeur encore moins. Il y a pluralité de politiques éditoriales possibles de qualité, et de nombreux directeurs de cinémas aussi compétents et talentueux que Stéphane Goudet. Contrairement à ce que font ses supporters, il n'y a aucune raison de porter Stéphane Goudet au pinace, et d'en faire une exception. Sauf à vouloir reproduire la politisation du Méliès et demander sa réintégration comme « ami politique » en fait.

La série de billets
Déjà publié
Post 1 : Réponses à de fausses accusations de Stéphane Goudet (5/1/14)
Post 2 : La défense du cinéma comme service public local par les écologistes (31/1/14)
Post 3 : Le chevalier noir des multiplexes se mue en chevalier blanc de l'art et essai
(2/3/14)
Post 4 : Quelques documents sur le basculement du Méliès en 2008 en objet politisé par JP Brard et S Goudet (8/3/14)
Aujourd'hui
Post 5 : « Mon cinéma » : Une forme de privatisation du Méliès
A venir (en principe)
Post 6 : L'accord secret entre UGC / MK2 et Dominique Voynet
Post 7 : La crise de 2013
Post 8 : Nouvelles calomnies
Post 9 : Et maintenant ?

Regards, sous le titre « poujadisme de gauche », fantasmes et insultes.

« Trop élitiste. Je n’ose dire : "pour les bobos"… ». Ainsi s’est exprimée, dans les colonnes du Monde, Dominique Voynet, maire de Montreuil, pour qualifier le travail unanimement reconnu du cinéma Méliès de sa ville : 3 salles, 495 places, 175 à 200 000 entrées par an. Neuf mois plus tard, après moultes accusations et deux enquêtes administratives en un an totalisant 35 auditions, l’ancienne candidate écologiste à l’élection présidentielle a choisi d’écarter en même temps les trois programmateurs (jeune public, tout public, direction artistique), et de nommer à la direction du cinéma une responsable administrative, n’ayant d’expérience, ni de direction ni de programmation d’un équipement comparable. Pourquoi Dominique Voynet a-t-elle, à la surprise générale, choisi Nathalie Hocquard, venue du cinéma Studio 66 à Champigny ? L’intéressée évoque comme hypothèse sa « loyauté » envers son précédent employeur. Accordons-lui. Elle est sans doute la seule candidate à avoir accompagné, de l’intérieur, la privatisation d’une salle publique d’art et essai, tout en continuant à faire l’éloge de la municipalité : « Champigny s’est fortement impliquée dans la sauvegarde du cinéma de centre-ville », écrit-elle deux ans après le rachat du cinéma par Mégarama et sa transformation en miniplexe standardisé. Evidemment, chez certains spectateurs du Méliès qui se souviennent de l’hostilité des écologistes au statut de cinéma public, ce choix a conforté l’hypothèse d’un projet, réel ou fantasmé, de privatisation du cinéma de Montreuil.

Le texte complet dans Regards est ici.