Avant le déclenchement de la crise

Malgré son poste officiel de consultant, Stéphane Goudet était LE directeur du Méliès de fait, comme il ressort de ses différents entretiens avec la presse depuis 2002. mais des compétences artistiques n'entraînent pas obligatoirement des compétences de gestionnaire. Si l'entente avec la municipalité a permis au système de fonctionner, après 2008, ce n'est plus le cas. Le directeur s'autonomise de son administration (ou on le laisse s'autonomiser) le cinéma devient une sorte d'État dans l'État. Il est évident que la responsabilité de cette situation n'est pas seulement imputable à Stéphane Goudet.
La « peur » de toucher à un personnage si prestigieux paralyse l'administration et la municipalité jusqu'en 2012. Ce n'était pas une peur irraisonnée : voir les difficultés rencontrées pour faire revenir Stéphane Goudet au statut de directeur artistique qui aurait du rester le sien, et à mettre à ses côtés une directrice du service municipal cinématographique.
Le besoin se faisait sentir d'un duo à la tête du Méliès, d'autant plus que le nouveau cinéma allait prendre une autre dimension. Lorsque le poste de cette directrice est défini, Stéphane Goudet obtient même de rester « autonome », sur le même plan hiérarchique, au lieu d'être « en-dessous » de la directrice dans l'organigramme.

La crise et l'enquête administrative

La directrice du service prend ses fonctions début octobre 2012 et constate de suite des irrégularités comptables (double billetterie, sans comptabilité). Elle est tenue de les signaler à sa hiérarchie, ce qu'elle fait le 15 novembre. A son tour, la maire est tenue de le signaler au procureur, ce qu'elle fait le 6 décembre. Les premiers témoignages recueillis par l'administration laissent apparaître des utilisations « étranges » de recettes de séances non commerciales, témoignages spontanées car de telles utilisations « parallèles » semblaient une pratique « normale ». Plus tard, il sera dit qu'elles étaient connues et tolérées par la hiérarchie administratives. Ces témoignages ont par la suite été retirés (ou démentis) par leurs auteurs.
Dès le 5 décembre, un tract de la CGT du personnel avait mis l'affaire sur la place publique, niant toute irrégularité, tract qui provoque un communiqué de presse de la mairie le 6 décembre. La CGT argumentera par la suite que son tract n'avait eu qu'une diffusion restreinte, et que c'est la maire qui a mis le problème sur la place publique et est donc responsable du conflit qui a suivi.
La mairie diligente une enquête administrative qui confirme la double comptabilité. On peut juger que ce terme « enquête » est impropre (comme l'ont fait les amis de Stéphane Goudet), car c'est une démarche unilatérale de l'administration, mais c'est ce qui est prévu par les règlements de la fonction publique.
Quelques semaines plus tard, ces irrégularités sont confirmées par le Trésor public, indépendant de la ville, c'est l'État.
Des sanctions administratives (mutations) sont alors prises contre les deux personnes qui avaient la délégation de la régie financière. Stéphane Goudet, en tant que seul directeur jusqu'en octobre 2012, et donc principal responsable, est licencié. Le non renouvellement du contrat d'une quatrième personne a peu à voir directement avec cette affaire, même si elle a été mise parmi les personnes à réintégrer par les soutiens de l'ancien directeur
L'enquête administrative a fait apparaître un montant du préjudice (140 000 euros), jugé totalement fantaisiste par le CGT et les supporters de Stéphane Goudet. Cette estimation est effectivement « à la louche », mais pas forcément loin d'une réalité inaccessible (voir le rapport du CNC ci-après). Il ajoute les recettes manquantes liées aux exonérations irrégulières sur la période 2010/12, estimées à 58 000 € compte tenu du nombre de billets gratuits, du nombre de séances, et du prix moyen du billet ; les séances non commerciales depuis 2002 non déclarées, pour 77 000 € ; et les séances scolaires dont le produit n'a pas été reversé (selon le personnel, il était en cours de reversement) pour 8 000 €. La CGT affirmant (sans preuve, voir le rapport du CNC) que tout a été reversé dans la comptabilité officielle, on comprend qu'elle trouve ce chiffrage fantaisiste.

Le rapport du Centre national du Cinéma (CNC), le 12 juin 2013



Il a confirmé l'essentiel, les irrégularités financières, une double comptabilité. De l'argent a disparu de la comptabilité officielle. Selon les employés, il aurait été reversé à la comptabilité officielle, mais ils n'ont pu en apporté la preuve. La municipalité a fait état des premiers témoignages, mais n'a aucune preuve non plus de ce qu'il est advenu de l'argent disparu.
Citations du rapport:
Le CNC « a constaté que plusieurs projections payantes ont été organisées au sein de votre établissement sans respecter diverses obligations posées par le code du cinéma et de l'image animée. L'enquête a permis d'identifier 46 séances litigieuses autour de la période étudiée (2010-2012). Les dernières ont été organisées les 19 et 21 novembre. Je note qu'une enquête menée par vos services a mis en évidence des faits similaires au cours des années antérieures. Des témoignages concordants évoquent une pratique héritée de la structure associative qui gérait le cinéma avant sa reprise par la municipalité en 2001 ».
Après avoir fait la liste des pratiques relevant du « non respect des dispositions relatives au contrôle des recettes », le rapport constate que « ces faits sont susceptibles de constituer un manquement défini au 5° de l'article L.421-1 du code du cinéma et de l'image animée. Ils sont passibles d'une des sanctions administratives prévues à l'article L.421 ».
Le rapport relève aussi « un recours abusif au régime des séances dites non commerciales » et indique que « cette qualification est, en l'espèce, juridiquement inappropriée ».
Tout ceci a conduit au non versement des taxes (TSA) sur le prix des entrées pour ces séances litigieuses : « Or, il est établi que les recettes issues des séances litigieuses susvisées, ayant été omises de toute déclaration, n'ont pas directement été incluses dans l'assiette de la TSA acquittée par votre établissement ». le CNC n'a pu estimer les sommes en cause pour deux raisons : « non seulement les recettes visées n'avaient pas été enregistrées et déclarées conformément aux formalités propres au droit du cinéma, mais en outre qu'elles n'avaient fait l'objet d'aucune inscription en interne » (…) « Par ailleurs il n'existe pas, non plus de documents permettant de retracer l'utilisation de sommes ainsi collectées. Cette opacité constitue la seconde complication rencontrée par les inspecteurs dans la recherche d'éventuelles omissions ou dissimulations dans les bases servant de calcul à la TSA ». Malgré la prudence du CNC, si l'on comprend bien, iaucun document n'atteste l'existence d'une comptabilité parallèle, officieuse. N'est-ce pas la définition d'une caisse noire?
le CNC ne peut donc évaluer le préjudice subi, tant par la ville que par lui-même. Mais en ce qui concerne le nombre de séances litigieuses sur 2010/12, c'est tout-à-fait cohérent avec l'estimation de l'administration municipale, portant en partie sur 12 ans, et séparant la question des exonérations illégales depuis 2010.

Le CNC examine ensuite l'affirmation des personnes concernées, disant que tout avait été reversé dans la billetterie classique : « là encore, aucun document ne permet d'attester la réalité et l'ampleur de ces reversements ». Le CNC essayé de recueillir des éléments sur les trois modalités de reversement évoquées par les personnes concernées, et les analyse en détail : chou blanc.Et le constat que les modalités évoquées « affectent la sincérité des données relatives au nombre de séances et à la fréquentation effective ».
Et pour conclure : « les investigations du service de l'inspection du CNC n'ont pas, pour l'heure, permis de démontrer la réalité et d'évaluer la proposrtion des reversements dans la billetterie officielle invoqués au cours de l'enquête ».
Au final, le CNC prend acte que la ville a mis en lumière ces dysfonctionnements et a remis de l'ordre dans le cinéma. Il n'envisage donc pas « d'autres suites à ces constats », à savoir des sanctions contre la mairie, responsable in fine., sanctions pouvant aller jusqu'à la fermeture du cinéma

Un licenciement injustifié ?

Si les faits ne sont plus guère contestés, le licenciement de Stéphane Goudet et la mutation des deux salariées qui exerçaient la fonction de régisseuse sont fortement contestées. La réintégration de Goudet et le retour dans leurs fonctions des deux salariées sont demandées par plusieurs candidats à la mairie, par la CGT et par les supporters de Stéphane Goudet. Plusieurs arguments sont invoqués.
La défausse
Selon ce que déclare Stéphane Goudet au Parisien en jiun 2013, après la publication du rapport du CNC, l'équipe municipale était parfaitement au courant de ces pratiques. Il minimise aussi son rôle en se présentant comme seulement directeur artistique, les aspects financiers dépendants de sa hiérarchie. Ce n'est paps très brillant.
Ce serait habituel
On a beaucoup entendu cet argument : « tous les cinémas font cela, la législation ne permet pas de faire autrement ». C'est faux et, comme le note le CNC, la loi permet de prendre en compte normalement les recettes des séances non commerciales. C'est d'ailleurs dans ce sens que la situation du cinéma a été normalisée. On peut rappeler que Le Méliès était passé en régie publique, entre autres pour éviter les dérives possibles dans les associations.
Il y a une exception culturelle
Cest l'argument le plus entendu dans les milieux cinématographiques qui ont beaucoup apporté leur soutien à Stéphane Goudet. C'est beau la solidarité professionnelle, mais le secteur culturel pourrait ne pas se sentir obligé de respecter la léalité, comme tous les autres secteurs ? Imagine-t-on une double comptabilité à la piscine et les hurlements qu'on aurait alors entendus ?

La politisation de l'affaire

Faute de « bons » arguments pour défendre Stéphane Goudet, Jean-Pierre Brard, suivi par Stéphane Goudet ont déplacé l'affaire de la faute professionnelle à la répression politique. Dominique Voynet est accusé dans les documents de Ma Ville Je M'Y Crois de « vendetta politique » contre Stéphane Goudet et Le Méliès. On est dans la droite ligne de la politisation initiée en 2007, et cela a marché. Et pourtant...
Pendant son mandat, Dominique Voynet n'est jamais intervenue dans la programmation du Méliès. Celui qui l'avait fait, c'est Jean-Pierre Brard avant 2001 : sous le titre « Brard de fer au Méliès », avant de parler de la lutte contre le passage en régie publique au détriment de l'association qui gérait le Méliès, Antoine de Baecque écrivait : « Depuis quelques années, l'indépendance d'une bonne salle de la région parisienne, le Méliès à Montreuil, est régulièrement remise en cause. La faute à Jean-Pierre Brard, maire apparenté communiste, qui ne supporte pas certains éclats d'une programmation non conformiste. La mairie avait d'abord tenté d'empêcher un débat autour du film de Mosco, Terroristes à la retraite, mettant en cause le PC. Puis a imposé, en mai, l'annulation d'un programme consacré au cinéma palestinien. Après avoir cherché à étouffer le Méliès par l'autorisation municipale donnée, sans concertation, à l'installation d'un gros multiplexe, voici que Jean-Pierre Brard veut «municipaliser» la salle ».
Dominique Voynet a renouvelé le contrat de Stéphane Goudet... à l'automne 2012. Une belle manière de vouloir son éviction politique quelques semaines après ? A quinze mois des municipales ? Affirmer ce genre de choses, c'est faire peu de cas de la rationnalité de la maire de Montreuil.
Le déplacement d'un conflit professionnel à un conflit prétendument politique n'est que le fruit de la volonté de revanche politique de Jean-Pierre Brard depuis 2008 et du climat de haine qu'il fait prospérer contre la municipalité. Et ce, même si la gestion quelque peu chaotique du dossier par la municipalité – et dont la mise en examen de Dominique Voynet pour diffamation à la suite d'un entretien avec la presse, est l'illustration – a pu crédibiliser l'accusation de conflit politique. Je ne confonds pas Stéphane Goudet, ses supporters, avec Jean-Pierre Brard, mais ils s'instrumentalisent mutuellement. Dès le début, Dominique Voynet est transformée en cible principale pour des raisons politiques, qui n'ont rien à voir avec le conflit professionnel. La brochure du comité des citoyens, appelée « tract pédagogique » par antiphrase, est distribuée à 25 000 exemplaires au printemps 2013. Elle vise à dédouaner Stéphane Goudet et sonne une charge mensongère et calomnieuse contre la municipalité et l'administration.

Détruire, dit-il

La CGT est dans son rôle en défendant les personnels mutés, mais, moins quand elle défend le salarié le mieux payé de la ville pour 1h de travail, e qui, surtout, a fait de son cas un enjeu politique et non syndical.
Goudet s'est comporté comme si le Méliès lui appartenait en propre – tant par le niveau de violence de ses attaques (notamment contre la directrice du service), et par lss multiples mensonges. La mise en cause de sa gestion risquait de nuire à son image (et à son capital symbolique) dans le milieu cinématographique. D'où ses cris contre un soit-disant licenciement politique, et son alliance avec Jean-Pierre Brard contre la maire de Montreuil.
Il a surtout montré jusqu'au il était prêt à aller dans la contestation de son licenciement. Si des actions comme les Méliès éphémères sont légitimes et ont du sens, ce n'est pas le cas du détournement des rencontres au Méliès en meetings politiques contre la municipalité. Il s'agit là d'un irrespect total envers les spectateurs.Comme l'écrit Dominique Voynet dans l'édito du journal du cinéma fin juin 2013 : « qui a envie d'entrer dans une salle sous les lazzis ? Qui a envie d'être pris en otage et sommé de prendre partie dans un conflit dont les raisons objectives sont parfois moins lisibles que les arrières-pensées politiques ? ». Ces intrusions systématiques ont conduit la ville à suspendre les rencontres et débats. Ils ont repris maintenant.
L'action n'est pas non plus légitime quand il s'agit de pousser d'autres réalisateurs à ne pas venir au Méliès : l'été dernier, j'en ai rencontré un à l'Atalante de Bayonne et une autre à l'Espace Saint-Michel à Paris 5e qui, à ma question de savoir pourquoi ils ne venaient pas au Méliès pour animer des débats sur leur film, m'avaient expliqué que c'était par solidarité avec Stéphane Goudet.
Quand, de plus, on répand force mensonges et rumeurs, on peut comprendre que l'image du Méliès devienne négative, et que les spectateurs n'aient plus envie d'y aller.
Goudet donne l'impression que le Mélès était pour lui un jouet, dont il a été privé par son licenciement, etet qui préfère le casser que le laisser vivre avec d'autres et avec ses spectateurs. Stéphane Goudet était-il au service du Méliès ou l'inverse ?

Il n'y avait rien de politique dans la crise avec Stéphane Goudet. Il est temps de rendre le Méliès à ses spectateurs et à sa neutralité.

La série de billets
Déjà publié
Post 1 : Réponses à de fausses accusations de Stéphane Goudet (5/1/14)
Post 2 : La défense du cinéma comme service public local par les écologistes (31/1/14)
Post 3 : Le chevalier noir des multiplexes se mue en chevalier blanc de l'art et essai
(2/3/14)
Post 4 : Quelques documents sur le basculement du Méliès en 2008 en objet politisé par JP Brard et S Goudet (8/3/14)
Post 5 : « Mon cinéma » : Une forme de privatisation du Méliès (17/03/14)
Post 6 : L'accord secret entre UGC / MK2 et Dominique Voynet (18/03/14)
Aujourd'hui
Post 7 : La crise de 2013
A venir (en principe)
Post 8 : Nouvelles calomnies
Post 9 : Et maintenant ?