En ces temps dramatiques il est à redouter, une fois l’émotion nationale retombée, que les discours de haine refleurissent et renforcent les clivages déjà profonds de la société française : la parole médiatique dominante ainsi que le populisme numérique incontrôlé offrent tant d’outils et de lieux sans régulation aux prêcheurs de haine... Si cela advenait, alors les fanatiques auraient encore gagné du terrain dans leur stratégie de la division et de l’ensauvagement général de la société.

D’autant qu’un désarroi très profond trouble les acteurs des quartiers, sidérés et incapables de réaction commune. Comment s’en étonner ? Quelle place leur est traditionnellement faite dans les lieux et outils traditionnels d’expression et de mobilisation : partis, syndicats, médias… ? Faute d’habitude, la prise de parole est d’autant plus difficile ; et encore plus quand on se sent en situation d’accusé potentiel.

De son côté, l’écologie se trouve apparemment démunie face à ces enjeux, tant ils échappent à ses combats habituels. Pourtant les pères fondateurs de ce courant de pensée né après la seconde guerre mondiale savent à quel point l’homme est le pire ennemi de lui-même. C’est pourquoi l’indignation ne nous suffira pas, pas plus que l’habituelle litanie sur les échecs de la République. Un travail de terrain et de pédagogie, un travail militant profond, patient et obstiné sera nécessaire, sur deux fronts : en direction des quartiers populaires délaissés d’abord, mais aussi en direction de la société française dans son ensemble.

En direction des quartiers populaires

- D’abord en direction des populations des quartiers populaires délaissés, à qui il faut offrir des protections, et mises en responsabilité et avec lesquelles il faut mener un travail d’éducation et d’encadrement, et définir des perspectives nouvelles. Pour remplacer celles que la mondialisation libérale détruit chaque jour. Car le sentiment de ne plus faire partie de la société, et de vivre dans un environnement sans repères et sans espérance peut plonger des êtres laissés à eux-mêmes, sans aucune estime de soi, dans les aventures les plus extrêmes. La plupart des fanatiques qui nous ont déclaré la guerre et peuvent la mener sur notre sol ne sont pas des barbares venus d’on ne sait où : ce sont des citoyens français, des produits de notre société, notamment de ses banlieues métissées que l’on a tant de réticences à insérer au cœur de notre économie, de nos partis, du récit que nous faisons de notre nation (pays) et de l’Europe Pour lutter contre ces fanatiques et contre l’islam dévoyé dont ils se revendiquent, nous devons mener une réflexion poussée autour de nos concitoyens de ces quartiers, D’abord pour affirmer l’idée que tous les maghrébins ou tous les immigrés ne sont pas musulmans : on peut être immigré et athée, il y en a même pas mal. Le droit à la non croyance est un droit pour tous, inscrit dans l’histoire et la tradition de tous les peuples .Aucune religion en peut donc prétendre parler au nom des migrants ou des quartiers. Ensuite pour ouvrir un nouveau dialogue avec ceux qui se revendiquent comme musulmans : à la fois pour les aider à se protéger des dérives xénophobes ou islamophobes qui pourraient naître dans les temps à venir ; mais les aider aussi à mener avec nous le combat contre les dérives islamistes qui persistent. Les musulmans n’ont à s’excuser de rien, mais doivent néanmoins se positionner, comme les autres, et participer au débat public. Il faut enfin le leur permettre, sur tous les sujets aussi, et pas seulement en période de crise. Ainsi, ils seront sans doute les plus efficaces d’entre nous, aidés qu’ils seront par des valeurs républicaines renouvelées et ouvertes qui sont notre ADN et notre anticorps le plus sûr. Mais pour ce faire il faudra aussi s’interroger sur la manière dont ces valeurs sont parfois utilisées contre certaines pratiques religieuses, en particulier quand la laïcité se ferme et devient hostile à toute expression religieuse ou culturelle, ce qui est très loin de l’esprit de la loi de 1905. Une laïcité du vivre ensemble plus que de combat. Disons-le donc tout net : l’Islam modéré peut être l’un des remparts à l’islamisme, un Islam influencé par les Lumières (comme le christianisme a pu l’être). En cela les non-musulmans ont une place centrale dans ce combat, où deux esprits se fécondent mutuellement pour se renforcer. Cela dialogue doit se nouer dans un véritable esprit concordataire, c’est-à-dire de réflexion sur la manière dont les institutions françaises peuvent accompagner certaines religions (islam, mais aussi évangélisme) peuvent négocier une place nouvelle dans la société française, place que celle-ci leur refuse pour l’instant.

- En lien avec ce premier combat, nous devons aussi réfléchir à la meilleure manière de répondre à l’attaque contre les valeurs qui fondent notre nation que représente l’attentat anti-Charlie Hebdo. En premier lieu de ces valeurs, la liberté d’expression, qui est l’une des premières causes à avoir motivé les révolutions françaises depuis celle de 1789 ; mais aussi la laïcité « à la française ». Ces valeurs, il ne faut pas s’en cacher, sont l’objet de doutes dans une partie de la population française, et notamment dans les quartiers populaires, à travers notamment ce questionnement terrible qui persiste malgré tout après l’attentat du 7 janvier : « Charlie Hebdo avait-il raison de caricaturer le Prophète des musulmans ? ». «  Charlie Hebdo ne l’avait-il pas cherché ?». « Ce journal n’était-il pas islamophobe, voire raciste ? » Ces questions, beaucoup de français se les posent encore, plus ou moins sourdement. Ils voyaient Charlie comme une expression de plus d’un monde médiatique dominant qui les rejette. C’est pourquoi, dans nos quartiers, nous devrons faire œuvre de pédagogie sur ce que sont l’esprit critique et l’esprit satirique ; et sur la manière si typiquement française dont Charlie Hebdo les portait. Nous devrons en particulier aborder à nouveau le sujet du droit à la critique de toutes les croyances quelle qu’en soit la manière… même la plus offensante ; et expliquer comment on peut être à la fois antiraciste et très caustique à l’encontre des dérives de chaque croyance ; expliquer la différence entre offense à des idées (légale : Charlie) et offense à des populations (illégale : Dieudonné). Reconnaissons que la frontière est souvent subtile et la jurisprudence parfois aléatoire, et que des juristes devraient participer aux débats. Mais disons aussi qu’en cette période de tension, ce que la loi doit permettre et protéger, la conscience personnelle de chacun, en matière d’offense, ne doit-elle pas parfois le modérer ?

En direction de la société française dans son ensemble - Ensuite, le même combat que nous devrons mener l’est contre les fractions de plus en plus importantes de la société française qui redoutent l’immigration dans son ensemble

Sur cette question, il va nous falloir recréer un cordon sanitaire contre l’extrémisme de droite et les paroles de haine, cordon singulièrement poreux ces derniers temps dans les partis politiques et dans les médias.

Ce qui signifie à la fois se battre contre les prêcheurs de haine, mais surtout convaincre leurs cibles potentielles de ne pas les écouter. Partis, médias et acteurs du « web » et des réseaux sociaux en particulier doivent être associés à ces réflexions. Car la division, le déchirement sont ce que recherchent les fanatiques.

Mais surtout, un travail de réarmement intellectuel s’avérera nécessaire pour qu’enfin l’écologie soit à la hauteur de l’enjeu le plus urgent du siècle, cet enjeu qui s’impose à elle en raison de son agenda environnemental : ressouder une société qui ne sera jamais capable d’affronter les défis écologiques qui lui font face si elle n’est pas capable de s’unir d’abord contre les dérives sécuritaires qui se profilent et les divisions qui la tiraillent. Un réarmement qui passe par la prise en compte de la problématique des quartiers et du vivre ensemble comme prioritaires et non périphériques, y compris au sein du mouvement écologiste.

Il faudra donc veiller à ne plus jamais délaisser, dans notre combat écologiste, des pans entiers de la société française, de ses cités et de ses campagnes qui sont le plus en proie au doute et à la peur. Nous devrons aller porter notre message dans toutes les anfractuosités de la société française, forts de notre conviction : l’écologie est le principal message d’espoir terrestre de ce siècle naissant dans des soubresauts. Elle est le principal moteur de fraternité, consciente que la diversité naturelle et la diversité culturelle sont indispensables à notre survie ; mais surtout que l’écologie est une perspective qui peut nous unir au-delà de nos différences. Une écologie qui propose un mode de vie, de comportement, une pensée, un projet, voire un programme et des normes : pour parler à tous et pas seulement aux plus conscientisés, l’écologie doit accepter de ne pas être qu’un supplément d’âme pour les plus aisés, mais offrir un cadre de vie aux plus humbles.

Et cela juste pour éviter ce que Martin Luther King redoutait, on le sait : mourir ensemble comme des idiots pour n’avoir pas su vivre ensemble comme des frères.

Contre les gestionnaires et les bureaucrates, contre les individualistes qui croient à la main invisible du marché, les écologistes bien les seuls porteurs d’un projet d’espérance moderne.