Le projet « Baleine » des Landes semble aujourd'hui intégré au projet « Biome », présenté dès 2011 à Soustons : une station d'élevage d'espèces menacées, doublée d'un parc animalier. L'ouverture de ce double projet est prévue au printemps 2016... en principe. Mais sur un terrain loué par la Fédération des chasseurs dans une autre commune, Pouydesseaux.

Ce billet est le premier volet d'une enquête sur ce double projet « Biome/Baleine ». Un deuxième volet suivra sur la dimension Biome proprement dite. Les sources en sont le projet de 2011 de Soustons, les sites des personnes et associations participantes, les journaux et les documents publiques des collectivités locales concernées... quand ils existent et quand ils sont communicables / communiqués.

A l'origine du projet de reconstitution de cette maquette, il y a un photographe animalier, Pierre Douay, dont le site professionnel est ici.

Il est le président-fondateur d'une association, « Un cadeau pour la terre », qui porte le projet. Le site de l'association est ici. D'après l'association, à travers cette reconstitution, il s'agit de sensibiliser le grand public à la biodiversité, en s'appuyant sur « l'émerveillement » devant un si bel et grand animal.

Le projet initial (2006-2012)

L'association a été déclarée en avril 2012. Mais, si l'on en croit une plaquette (sur papier glacé, et abondamment pourvue en photos d'enfants) de présentation de la Baleine et, semble-t-il, destinée à recueillir des dons, le projet est bien antérieur à la création de l'association. Chronologiquement, le premier partenaire de la Baleine est le Parlement européen, dès 2006, en la personne de Josep Borrell Fontenelles (qui quittera ses fonctions en 2007). Suivent le Ministère de l'écologie (MEDD, 2008), la National Geografic (France, 2011). Il faut y ajouter le WWF (2011) pour le volet pédagogique du projet.
La construction est annoncée pour 2012, et le coût estimé à 3 millions d'euros, dont il est précisé qu'ils seront exclusivement en provenance du mécénat. Les principaux acteurs du projet, outre l'association, sont une boîte de design (Renaissens), une société de marketing (Teamel), une boîte d'architectes liés à des chantiers navals (Multiplast), et le « leader mondial » dans l'organisation d'évènements (GL events). Ces entreprises de communication et de marketing sont définies comme « acteurs » (et non simples partenaires) par le site lui-même, ce qui en dit long sur l'esprit du projet.

La première présentation au public est anticipée pour 2013 à Paris, et, devrait suivre, « une tournée européenne et mondiale », avec démontages et démontages « une prouesse technologique » souligne la plaquette. De fortes retombées médiatiques de cette première mondiale à Paris sont attendues.

Autour de la maquette, il y a un ambitieux programme : un village avec des espaces d'exposition par thèmes, des espaces pour les mécènes, un auditorium, un centre de documentation. Une surface de 10 000 m2 est présentée comme nécessaire.

On verra dans la suite de ce billet comment le projet a évolué. Mais une première remarque s'impose : autant le dispositif présenté dans la brochure semble apte à lever des fonds et convaincre des sponsors, autant la dimension « éducation à l'environnement » semble très limitée, et pas vraiment approfondie, au-delà de la mise en spectacle : les acteurs du projet relèvent du marketing, et sont adaptés à cette mise en spectacle. Mais ce projet ne fait de mal à personne, et il y a beaucoup de projets de même nature « hybride » sur ce thème de l'environnement.

La Baleine et la COP21 (octobre-décembre 2015)

La Baleine est construite en novembre 2015, avec trois ans de retard, pour être présentée à Paris lors de la COP21. L'inauguration officielle est documentée sur le site du biome, avec une photo de Pierre Douay, Jérôme Pensu (Le Biome – voir ci-après) et Paul Watson (Sea Shepherd). La présence de la maquette sur le quai a été prolongée pour la durée des vacances scolaires.



On trouvera dans un journal parisien une présentation de la Baleine à la COP21. J'ai été l'admirer le jeudi 4 décembre. Ce même jour, la « Coalition Climat 21 » (la plupart des ONG mobilisées pour la justice climatique) avait investi le Grand Palais pour poser des questions « impertinentes » aux exposants du salon « Solutions COP21 », avant de s'en faire expulser sans douceur. Le salon était le prototype de la communication « greenwashing » des entreprises polluantes. De l'autre côté de la Seine, la Baleine était officiellement partenaire du Salon. Sans rapport direct avec ces entreprises, mais sans doute comme moyen d'avoir le haut patronage du MEDD et une aide financière publique.

Voici trois photos de la fameuse Baleine prises à cette occasion. Cela semble bien vide, mais un jeudi matin n'est guère propice au tourisme ou aux visites scolaires. On remarque aussi que la baleine est l'occasion pour Pierre Douay de présenter son travail professionnel de photographe. De l'autopromotion ?

Le « village » annoncé dans le projet de 2012 n'a pu visiblement pas être installé dès la COP21. Il y avait juste un petit préfabriqué où était présentée de la documentation sur les partenaires et acteurs de la Baleine.

Tant sur le site de Un cadeau pour la terre, que sur la plaquette éditée à l'occasion de l'installation pour la COP21, on remarque l'actualisation de la liste des partenaires. Après l'association « Un cadeau... », figurent : Teamaël (boîte de communication et marketing, comme en 2012) - « le Biome », société landaise dont je vais reparler, dont le président Jérôme Pensu est présenté comme « expert environnemental » - Solutions COP21 – Renaissens (société de design, rescapée de 2012 – Let Me See (boîte de Celebrity Marketing) – Elan Edelman (boîte de communication), GL Events (déjà en 2012), etc. Toujours le Parlement européen, la National Geografic (France) et le MEDD (haut patronage actualisé). Des médias comme Ushaïa TV et l'Argus de la presse. Des associations davantage liées à l'environnement : WWF (rescapée de 2012), Sea Shepherd, Enercoop, Pachamama, Armorgreen. Enfin, en rapport avec les Landes, le Conseil régional d'Aquitaine, la Communauté d'Agglomération « le Marsan », les villes de Castets et Pouydesseaux et la CCI des Landes. Plus quelques personnalités « people » (Marion Cotillard) et, quand même, quelques vrais écolos (Pierre Rabhi et Pierre Richard).
Au total, une bonne quarantaine de logos de partenaires et/ou sponsors figure sur la plaquette. Une telle abondance est là pour crédibiliser le projet et faire un effet boule de neige. Et comment ne pas soutenir de si belles intentions ?.

L'attraction a pu accueillir quelques personnalités venues à Paris pour la COP21, comme Raoni et Paul Watson. Le facebook de Pierre Douay s'étend abondamment sur ces visites. Mais le monde de la Baleine est resté étranger au mouvement social pour la justice climatique qui, malgré l'état d'urgence a marqué les 15 jours de la COP21.

L'association fera-t-elle un bilan plus précis de l'impact (au-delà du people) de l'initiative parisienne, des publics touchés, du coût et du financement ? Ce serait indispensable pour aider les élus landais à prendre des décisions « éclairées » en matière de soutien à l'implantation annoncée (et confirmée) de la maquette dans les Landes. Déjà d'ailleurs, sur le facebook, une équipe commune « baleine/biome » est mise en avant comme responable du projet COP21 et de la future implantation dans les Landes.

La venue dans les Landes : Baleine et Biome

Le Biome est un projet de parc animalier appuyé sur un centre de reproduction et d'élevage d'espèces en voie d'extinction. J'en ai eu connaissance en janvier 2011, lors d'une enquête publique de mise en conformité du POS de Soustons pour permettre son implantation.

La venue de la Baleine dans les Landes se met en place dès 2013, quand Pierre Douay, son père, est coopté au conseil du Biome. Le nouveau projet à Pouydesseaux est présenté au public en janvier 2015. La baleine est visible dans la maquette du futur site, sans être vraiment mise en avant lors de cette soirée, si l'on en juge par l'article du journal Sud Ouest qui en fait le compte rendu le 10 janvier 2015.

Il en est autrement dans un article paru en septembre 2015 dans le même journal. La Baleine semble devenir le cœur du projet Biome : en quelque sorte, son produit d'appel pour les touristes... et les subventions publiques

Castets. Le Biome comme garant de la Baleine

Castets, à proximité de l'autoroute A63, a été la première ville à apporter son soutien au biome/baleine sous forme d'une subvention votée lors du Conseil municipal du 27 août 2015. 15 000 euros étaient proposés, réduits à 10 000 après débats. 4 conseillers ont voté contre. Cette ville avait été envisagée pour une implantation du biome, après le forfait de Soustons et avant le choix final de Pouydesseaux. Il en est resté l'idée d'un « mémorial de la biodiversité » – qui était un volet déjà du projet de Soustons – en l'honneur de grands noms de la cause environnementale.

Cette délibération était confuse à souhait : il s'agissait d'aider à la réalisation de la maquette grandeur nature de la baleine bleue, désignant « l'association le biome » comme porteuse de ce projet, y adhérant, considérant aussi l'existence du projet de mémorial, et versant la subvention tout en demandant des contreparties. Sauf que, « le biome » n'est pas une association mais une entreprise (SAS : société à actions simplifiée), et que la baleine est une autre structure.

Lors du Conseil municipal du 16 octobre, la délibération précédente est annulée, et une nouvelle est votée (avec toujours 4 opposants), sans lever la confusion entre les deux projets, Baleine et Biome, bien au contraire. La subvention est maintenant attribuée à « un Cadeau pour la terre », le véritable porteur du projet. Pour financer la grande maquette (voir le communiqué de presse plus loin), mais encore avec l'engagement d'installer un « baleineau » en plus à Castets, dans un délai de 4 à 6 ans. Cette association se voit aussi créditée du projet d'installer le « memorial », auparavant porté par la SAS Le Biome, à Castets. Dans le second volet de cette enquête, je reviendrai sur ce projet de mémorial qui est annoncé par le Biome comme support de nombreuses autres activités (promesses déjà faites à Soustons).

Mais, comble de la bizarrerie politique et juridique, la convention qui accompagne cette subvention est tripartite : la ville de Castets, « le cadeau pour la terre », et la SAS Le Biome, qui intervient comme garant de la bonne exécution de la convention.

Dans la foulée de ce vote, un voyage scolaire est programmé avec 2 classes de Castets pour visiter la baleine bleue à l'occasion de la COP21, ainsi que l'Assemblée nationale avec la députée socialiste des Landes, Florence Delaunay.
Ce voyage a fait l'objet d'un communiqué (ici) de « un Cadeau pour la terre » mi-octobre, et est présenté sur la page facebook de Philippe Mouhel (MODEM), maire de Castets. . Après les attentats, le voyage est annulé, mais la députée se déplace à Castets pour rencontrer les écoliers privés de voyage : ici, le compte rendu de cette rencontre.

Pouydesseaux

La Fédération des chasseurs des Landes possède sur la commune de Pouydesseaux, un vaste domaine, qui fut un centre d'élevage de faisans. Depuis quelques années, le lieu abrite un centre de soins aux animaux blessés, Alca Torda. C'est là, entre Mont-de-Marsan et l'autoroute A65, qu'elle a proposé d'héberger le projet Biome, et maintenant la Baleine bleue. Dès mai 2014, la commune apportait son soutien au Biome, avec une délibération du Conseil municipal. En janvier 2015, elle organisait la présentation publique du Biome.

En septembre 2015 le Conseil municipal vote une nouvelle résolution, cette fois pour la Baleine : une avance remboursable dès janvier 2016, sans intérêts. Les considérants de la délibération donnent l'esprit de ce soutien. Cela constitue autant d'actes de foi, en l'absence d'études sur l'impact du projet. Considérant:
l'intérêt général de la sensibilisation à la biodiversité et de la sauvegarde de l'environnement du projet Baleine bleue
l'impact médiatique de cette construction inédite à l'échelle mondiale
la portée pédagogique pour les différents publics locaux et notamment pour les scolaires de l'installation sur la commune de la baleine bleue
les retombées locales en termes d'emploi et de fréquentation touristique.

Ce qui est frappant, c'est l'absence de tout document écrit sur le projet consultable à la mairie de Pouydesseaux. Selon la maire, Jérôme Pensu (directeur du Biome)est venu présenter lui-même le projet lors du Conseil, mais n'a laissé aucun document... Il est reparti avec. C'est d'ailleurs aussi le cas pour le conseil fin août à Castets, où Jérôme Pensu est venu présenté lui-même le projet Baleine bleue, et le seul document conservé à la mairie pour justifier cette subvention est la vieille brochure de « un Cadeau pour la terre » à destination des sponsors (c'est d'ailleurs là que j'ai pu en avoir connaissance).

Dans mon ancienne commune, on demandait aux associations des projets écrits, des objectifs, un budget prévisionnel, etc, même pour des subventions faibles. A Pouydesseaux et Castets, on semble se satisfaire d'une présentation orale par le porteur de projet. Il est pourtant question d'argent public.

Le Marsan Agglomération, Conseil régional, Conseil départemental

Dans la rubrique « actualités » sur le site du Biome, au 19 novembre 2015, on apprend que le projet vient de recevoir des subventions du Conseil régional d'Aquitaine, et de la communauté d'agglomération Le Marsan. Plus précisément, voilà ce qui est écrit:
1ere subvention pour le Biome 2015-11-19 15:21:26 « Le Conseil Régional d’Aquitaine vote une aide de 300 000 € pour participer au financement du biome et de la baleine bleue. »
Aprés le CR d'Aquitaine, au tour du Marsan Agglomération de s'engager pour le Biome 2015-11-19 15:23:48 Le Marsan Agglomération s’engage aux côtés du biome et de la baleine bleue à hauteur de 200 000 €, permettant son installation pour la COP 21 à Paris

Là encore, les deux projets, Biome et Baleine sont fusionnés pour les subventions. Et il s'agit de financer la construction de la maquette à Paris pour la COP21...
Avec en plus un bémol considérable : il semble n'y avoir eu aucune décision ni délibération pour l'une comme pour l'autre collectivité. Les négociations sont encore en cours au Marsan agglo. Dans le compte rendu du Conseil municipal de Castets du 16 octobre, le maire a affirmé que Renaud Lagrave, vice-président socialiste du Conseil régional avait pris l'engagement écrit de verser une subvention au projet Baleine / Biome, de même que le Conseil départemental des Landes avait décidé d'aménager le carrefour qui mène au site (des centaines de milliers d'euros, même si ce n'est pas une subvention en monnaie), au vu des dizaines de milliers de touristes attendus.

Conclusion provisoire

Avant d'en venir, dans le second volet de ce voyage en Biome / Baleine, qui sera consacré à la dimension initiale (centre de préservation et d'élevage d'espèces menacées, et à la SAS Le Biome), une conclusion provisoire sur deux aspects :

La Baleine dans les Landes est un projet très différent (sauf la maquette) du projet de 2012. Il est surtout devenu assez confus et opaque, avec des déclarations fluctuantes des promoteurs, des annonces anticipant des soutiens (tactique connue pour en susciter d'autres).
La partie pédagogique n'était pas visible à Paris, et on ne sait ce qui va exister dans les Landes. La Baleine est supposée voyager en Europe et dans le monde, ce qui est réaffirmé dans l'article du journal parisien en novembre dernier. Pourtant des engagements ont été pris : la Baleine doit rester à demeure à Pouydesseaux : quel est le projet réel ? Qui va gérer la Baleine et ses éventuels voyages ? Le financement était supposé ne reposer sur aucune subvention : en réalité, ce n'est pas le cas. Quel est le budget réel ?

Mais c'est le concept même de la Baleine qui est plus que problématique. Faire prendre conscience de la biodiversité et de l'impératif de la préserver en suscitant l'émerveillement. Heureusement, l'éducation à l'environnement, avec ses militants et ses professionnels, va beaucoup plus loin que la reconstitution d'une maquette, même grandeur nature, même de cette baleine bleue. On est dans le domaine de l'attraction touristique, point barre. On ne voit pas ce que de l'argent public vient faire là-dedans.

« S'émerveiller de la nature » avec le Centre Jean-Rostand... de Pouydesseaux

Et au final, pour admirer des merveilles de la nature, est-il utile de reconsttituer une baleine dans les Landes ? N'y a-t-il aucune merveille de la nature visible dans la faune et la flore des Landes ? Nos richesses naturelles sont-elles à ce point déficientes ?

Le plus aberrant et stupéfiant dans cette affaire est qu'existe sur le commune de Pouydesseaux le Centre Jean-Rostand, créé par ce biologiste en 1962 : un conservatoire de la flore et de la faune (espèces protégées) et laboratoire de biologie d'eau douce. Un sentier aménagé permet de découvrir les richesses de ce milieu. L'existence de ce Centre n'est pas du tout valoriser à la hauteur de ce qu'il pourrait être. L'argent public promis à la Baleine serait bien plus utile pour le développer... Si les élus avaient le sens de l'intérêt public et non le goût des attractions superficielles mais bonnes pour la communication.