Il y a certainement eu erreur de casting en 2014. Il y a une jeune génération d’élus PC plus démocratique,plus ouverts sur l’écologie. Une députée comme Elsa Faucillon par exemple,ou la maire de Morsang-sur-Orge. Mais on a eu affaire à un « vieil » apparatchik soucieux seulement d’assurer son pouvoir et celui de l’appareil du PC. Le pouvoir pour le pouvoir, sans vision politique. Qui plus est, il y avait du Macron dans Bessac, recherchant l’hégémonie politique malgré un score faiblard au 1er tour.On a donc rapidement assisté à un retour des pratiques politiques anciennes, celles de l’ancien maire, avec un pluralisme de façade. 

Peu de positif dans le bilan

Bien qu’allié à EELV, Bessac n’a pas hésité à remettre en cause des réalisations ou projets engagés par la municipalité Voynet. Entre autres, sans y réussir pour la piscine écolo, mais avec succès pour l’école « écolo » de la ZAC Boissière. Sans parler de la haute sensibilité verte qui a consisté à bétonner les pieds d’arbres. Passons aussi sur les fictions sur la soit-disant mauvaise situation financière de la ville et de l’OPHM. 
Au lieu du pluralisme, il y a eu la volonté de diviser tous ses partenaires (une constante de Brard avant lui), en s’attachant les bons services d’une partie d’entre eux et marginalisant les autres. Et cela a marché, au sein d’EELV notamment. Bessac a fait preuve d'une habileté remarquable. Au final, en 2020, tous les partis ont éclaté, sauf le PC.

L’opacité financière n’a pas attendu avec la création du fonds de dotation « Montreuil solidaire », avec à l’origine de simples prête-noms du PCF. Le fonctionnement de ce fonds est resté opaque et a valu au maire un carton rouge d’Anticor. Le fonds recueille les contributions d’opérateurs privés comme Véolia, BNP Paribas, Bouygues Immobilier, OBM, Eiffage, Nexity, Cogedim… Certains sont des promoteurs immobiliers qui, par ailleurs, obtiennent de la ville des cessions de terrain (parfois en dessous du prix du marché) et des droits à construire (ou à bétonner comme avec le projet EIF dans les Murs à Pêches obtenu par Bouygues) ou encore, des entreprises bénéficiaires de marchés publics de la ville. On n’est pas loin de l’affairisme typique des « vieilles » villes PC.

Ce fonds est d’ailleurs un vecteur important du clientélisme envers les associations comme envers les habitants (Ah, les sorties à Noël pour des spectacles offerts à tous les enfants de la ville…). Il y a souvent prise en otage des associations. Ainsi, il y a quelques jours, la séance de signature de nouvelles conventions avec des associations des MAP, en pleine campagne électorale. Difficile de refuser…. Autre caractéristique, héritée là-aussi de Brard, le « tout communication » : de bonnes initiatives sont noyées dans des flots de communication, au point de faire douter de la sincérité, surtout quand le service après-vente n’est pas fait. Ainsi de l’occupation officielle de l’AFPA par des résidants de Bara, dont la suite est calamiteuse.

Autant dire que la comparaison entre les engagements pris et la réalité des politiques suivies n’est pas flatteuse.
Malgré tout, Bessac n’est pas Brard. Il était possible de travailler dans sa majorité, plus facilement évidemment quand on accepte des liens de subordination que quand on défend son autonomie, remettant ainsi son autocratie. Dans son créneau (la solidarité internationale, les migrants), le bilan d’Halima Menhoudj, adjointe écolo (EELV, puis LREM, puis génération écologie / urgence écologie) est loin d’être mauvais. Comme celui d’autres élus écolos (Notamment Catherine Pilon pour les déplacements et Claire Compain pour l'énergie).

Au vu d’un tel bilan, « Montreuil mérite mieux », comme dit movico2020. Nous avons besoin d’un sursaut démocratique, et d’une bifurcation écolo. Et pour 2020, le compte n’y est pas avec la liste Bessac, au 1er comme au 2ème tour.

« Montreuil est une chance »

Dans les marges de la crédibilité du sondage de l’IFOP qui lui attribuait 48 % des intentions de vote au 1er tour, et une élection (sans EELV) dans un fauteuil au 2ème tour, on peut penser que, malgré ce bilan, Bessac va sans doute gagner sa réélection. Eclatement de ses partenaires, communication réussie sur le rassemblement de la gauche et de « certains » écologistes, conquête de la plupart des réseaux brardistes de la ville. Dans un contexte de mobilisations populaires, l’aspiration au rassemblement de la gauche et des écologistes est forte dans une ville comme Montreuil avec ses traditions. Faute d’alternative suffisamment crédible, Bessac a su capter cette aspiration.

Certes, le rassemblement s’est fait dans la violence au sein du PS et de la France insoumise, mais cela ne touche que le microcosme. Si l’on parcourt la listes de soutiens (dont le nombre ne préjuge pas du résultat électoral : Brard récoltait ainsi des centaines et des centaines de soutiens, ce qui ne l’a pas empêché d’être battu en 2008), on y trouve les mêmes noms que je vois depuis 25 ans, mais aussi des personnes venant de l’extrême-gauche, d’autres qui nous avaient soutenu en 2001. Cela dépasse les traditionnels réseaux PC et brardistes, les grandes familles de Montreuil.

Si l’on parcourt le programme, il y a beaucoup de promesses lourdes (un groupe scolaire, de multiples maisons, une médiathèque…) ou qui ne dépendent que très peu de la ville (un nouveau lycée, le tram, la L9). Tellement de propositions (plusieurs centaines) qu’on peut toujours y trouver ses petits (et beaucoup de bonnes choses qu’on trouve aussi dans d’autres programmes, à défaut d’un trouver une vision (toujours) et une cohérence, hormis la langue de bois : « une ville-monde » est une rhétorique d’autant plus creuse que plus loin on parle de culture montreuilloise (?). Il y a quelques belles perles et quelques absences.

Tout le programme est ici.

Dans la présentation du programme, au ton très communicant et un peu ronflant, avec un usage récurrent du mot « ambition » au long du programme, « une ville monde aux mille cultures où chacune et chacun compte »), on peut lire des proclamations un peu irréelles en novlangue comme «  Nous sommes une équipe soudée » : (mais peut-être est-ce vrai pour l’instant, au vu du mode de constitution de l’équipe au forceps chez ses alliés, écartant les dissidents potentiels. Et encore : « Nous sommes animés de profondes convictions humanistes, écologistes, sociales ». Cela vaut effectivement mieux en l’écrivant.

La partie "écologie du quotidien" attire l’attention. L’objectif est « offrir un cadre de vie » (merci M. le Maire), formulation typique de la politique surplombante et paternaliste. On est loin de l’affirmation des enjeux de la crise climatique. D’ailleurs, cette « écologie du quotidien est là pour « protéger » (les habitants sont paraît-il en demande de protection selon les politologues). Cela commence par la propreté, et continue par la sécurité (de nouveaux policiers municipaux).§§§ Si le vélo, les transports collectifs et la rénovation thermique des logements sociaux (plus quelques autres) sont à leur place (mais les énergies renouvelables un peu moins et le mésusage de la voiture encore moins), et il faut s’en réjouir, la cohérence d’ensemble a disparu, l’urgence climatique aussi. Il n’est pas question de la mise en œuvre du plan climat, parce que cela ressort de l’agglo ? En ce qui concerne la pollution on peut lire « ambition de réduire de 40 % les effets des gaz à effets de serre à l’horizon 2030 », ce qui ne veut pas dire grand-chose. Réduire les effets ? Quels indices ? La pollution atmosphérique vient-elle surtout des gaz à effet de serre ?

Pour le reste, on relève une innovation linguistique dans l’air du temps « la démocratie alimentaire », et un gadget participatif de plus, « la fabrique citoyenne ». Un n-ième dispositif institutionnel, associant élus, services experts et habitants, en fait, un « étouffe-initiatives » d’habitants, de haut en bas. Cela semble loin des réflexions sur l’intervention autonome des habitants pour « produire de l’urbain et de l’urbanité ». 

"Montreuil n'est pas une chance"

Ce programme est-il en mesure de conduire à un sursaut démocratique et à une bifurcation climatique ? Cela semble peu crédible au vu de l’insuffisance des mesures, et encore moins du bilan 2014-2020. Alors, accepter l’hégémonie de Bessac au nom d’un rassemblement de la gauche et de certains écologistes ? Contre la droite et l’extrême-droite, cela se justifie, comme dans la plupart des villes. Mais ici, ni Brard contrairement à 2014, ni la droite, ne semblent en mesure de représenter un danger pour la gauche. L’appel au rassemblement n’est qu’un faux-nez contre le pluralisme. L’expression autonome des forces de gauche, et des primaires entre partis sont une chance pour Montreuil.

Une ville verte, solidaire et démocratique ne peut se faire avec « Montreuil est une chance », ni au 1er, ni au 2ème tour.

Patrick Petitjean, 10 mars 2020