Le cinéma Méliès, une réalisation de Dominique Voynet

Cela peut sembler paradoxal pour ceux qui ont des déficiences de mémoire, compte tenu du conflit autour du cas « Goudet » qui a marqué la fin de la mandature de Dominique Voynet : mais c’est notre municipalité qui a permis la création du Méliès.
En 2008, la situation était bloquée. Le projet, conçu par Brard, n’était ni financé, ni tenable du point de vue de sa programmation architecturale. De plus, Brard était engagé dans un bras de fer viriliste avec Karmitz, rendant le Méliès juridiquement hypothétique. Le projet a donc été doublement remis sur ses rails par la nouvelle équipe. En particulier, un accord a été conclu avec Karmitz, conduisant au retrait de ses recours juridiques.
Cet accord a déclenché une vague de « fakenews » avant la lettre. L’opposition, toutes tendances confondues, a accusé Dominique Voynet d’avoir conclu un addendum secret avec Karmitz, s’engageant à lui revendre le Méliès. Evidemment, Jean-Pierre Brard était à la manœuvre, mais aussi ceux qui en étaient encore proche, comme Alexie Lorca et Gaylors Le Chequer, qui joueront ensuite un rôle majeur dans le conflit autour de Goudet..

Le Méliès a finalement été inauguré par Patrice Bessac, comme d’autres projets engagés pendant la mandature écolo : le nouveau Centenaire, la piscine écolo du haut-Montreuil, le protocole de reconstruction de Bara en plusieurs résidences sociales, etc. Pas très fair-play de mettre tout cela au bilan de la mandature Bessac, sans mentionner l’origine de ces réalisations. Mais politique politicienne usuelle d’un nouveau maire contre son prédécesseur.

L’affaire Goudet
Sans revenir à toute l’histoire de l’ancien Méliès (mes nombreux billets sur le sujet d’avant 2014 sont encore accessibles sur ce blog), il faut rappeler que Jean-Pierre Brard avait besoin d’un multiplexe au coeur de ville comme moteur pour rendre possible la venue des enseignes commerciales. Mais GCR ou Karmitz avaient refusé. Il s’est alors rangé à la proposition, défendue par Stéphane Goudet et Claire Pessin-Garric (alors adjointe à la culture), de déplacer l’ancien Méliès (3 salles en sous-sol à la Croix de Chavaux) au Coeur de ville, et donc d’avoir un cinéma public et non un multiplexe privé.
Et c’est là que cela se gâte : Brard transforme le futur Méliès en objet plus politique que culturel pour sa campagne électorale de 2007-2008, et Goudet se transforme en agent électoral de Brard, puis de l’opposition à Voynet, puis de Bessac. Au lendemain de l’élection de 2008, dans l’édito du journal (municipal) du cinéma (municipal), Goudet (employé municipal) s’était permis de regretter la défaite de Brard et avait mis en garde Voynet contre toute intervention dans les affaires du cinéma. Bien que municipal, le cinéma était la chasse gardée de son directeur. Contrairement à Brard qui, en 2001 avant l’arrivée de Goudet, avait interdit une semaine de films palestiniens, il n’y a jamais eu d’intervention de Voynet dans la programmation du cinéma.
Dès le début, nous avons été confronté à un problème très actuel : fallait-il distinguer l’homme de l’artiste, l’agent électoral du directeur artistique du Méliès ? A tort peut-être, on a laissé passer sans réagir l’édito anti-Voynet. Si Goudet, à mon souvenir, ne s’est pas mis en avant dans l’affaire du soit-disant accord secret avec Karmitz, à partir de la mise en évidence d’une double comptabilité au Méliès, il a pris la tête de la campagne de l’opposition contre la municipalité. Son licenciement pour « manque de loyauté » qui s’en est suivi a été validé par le Tribunal administratif, saisi d’un recours de Goudet.

La double comptabilité
On peut s’en tenir au rapport du CNC et au rapport de l’enquête préliminaire qui a suivi la saisie (obligation fonctionnelle) par Voynet de la justice.Il y avait une double comptabilité. Fallait-il parler de « caisse noire » ? On a peut-être eu tort de le faire, vu la connotation des termes. Cette double comptabilité a valu des sanctions administratives à des salariés, mais seul Goudet a été licencié.
Qu’est devenu l’argent de la comptabilité parallèle ? Les responsables du Méliès ont affirmé qu’il avait été reversé dans la comptabilité officielle. Sans apporter de preuves. Un salarié (ex-Méliès) a affirmé qu’il avait en partie servi à financer diverses choses, accusations qu’il a répété devant la justice (on peut le lire dans le rapport d'enquête, ce n'était pas une invention de la municipalité, sans preuves là aussi. Les conclusions de l’enquête préliminaire ont donc été qu’il n’y avait pas matière à poursuites, ce qui n’est pas un non-lieu. Sauf le rejet du recours de Goudet au TA, toutes les procédures judiciaires (annoncées ou réelles), notamment pour diffamation, sont tombées à l’eau.%% Nous avons certainement eu tort de sembler privilégier les accusations de l’ancien salarié du Méliès, et sommes tombés dans le piège de l’opposition et de son agent électoral.
Mais si je suis revenu sur cette affaire, qui pour moi était du passé, c’est en raison du film « Ceux qui nous restent », un docu-fiction qui lui est consacré.

Ceux qui nous restent
Le film est sorti en décembre dans une seule salle de cinéma en France. A Montreuil. Au Méliès, où il a fait l’objet d’une vingtaine de projections, et de plusieurs débats. Depuis, il tourne en France dans des festivals de films « engagés ». De fait, il a été un des premiers actes de la campagne électorale de Bessac. Le film se présente comme un documentaire sur la lutte des salariés du Méliès. Ce qu’il est. Mais pour quoi, et contre quoi ? De passage à Montreuil à deux occasions, à une période où ce film était projeté, j’en ai lu les présentations dans deux des numéros du journal du cinéma, j’en ai lu des critiques sur le facebook du film, et cela ne m’a pas donné l’envie de le voir.
Documentaire donc sur une lutte, mais aussi fiction sur son contenu politique réel. « le sauvetage d’un cinéma de quartier », « l’indépendance des lieux culturels est menacée », « les salariés furent réintégrés » (mais seul Goudet avait été licencié, et il a été réembauché par Bessac malgré le jugement du TA). Etc, etc. La fiction politique est celle de la défense d’un cinéma (salle et contenu) qui n’a jamais été menacé, au contraire. Goudet a su mobiliser la solidarité professionnelle de personnalités incontestables et appréciées (Mariana Otero, Alice Diop, Sophie Wahnich notamment) grâce à cette fiction. Entre malentendu et instrumentalisation. C’est dommage.
Sortir le Méliès de la politique politicienne qui le pourrit depuis Brard est plus que jamais une nécessité. Pour préserver la dimension politique du cinéma. Si derrière la lutte des salariés du Méliès il y avait cela, alors elle aura été utile, même dirigée contre une fausse cible.

Patrick Petitjean, 12 mars 2020